Cuma : la flamme de l’engagement depuis 1945 – Champ libre à Esteban Rives, lycéen

  • Vie du réseau Cuma

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À seulement 16 ans, Esteban Rives, arrière-petit-fils d’un des fondateurs historiques des Cuma, a bouleversé l’auditoire du congrès à Beaune. Avec des mots justes, lucides et profondément personnels, ce lycéen a raconté l’histoire de sa famille et dressé un plaidoyer poignant pour une agriculture solidaire et humaniste.

Esteban Rives Témoignage Cuma

Un moment fort et chargé d’émotions

Il y a des prises de parole qui marquent au-delà des mots. Celle d’Esteban Rives, le 5 juin 2025 à Beaune, fut de celles-là. Dans une salle comble rassemblée pour célébrer les 80 ans des Cuma, ce lycéen de 16 ans a ému jusqu’aux larmes une partie de l’assemblée. Non seulement parce qu’il incarnait, par sa seule présence, la quatrième génération d’un héritage agricole forgé dans la Résistance, mais surtout parce que ce texte fort, sensible, engagé, c’est lui qui l’avait écrit.

Une déclaration puissante, où se mêlent mémoire familiale, constat sans concession et appel à la solidarité. Un moment rare de sincérité et d’intelligence, à (re)voir absolument.

Vous retrouverez l’intégralité de son texte ci-dessous

3 générations au Congrès à Beaune

Famille Rives Congrès des Cuma
Avec de gauche à droite : Félix Rives, le père, Claude Rives, le grand-père et Esteban Rives, le petit-fils

Le texte d’Esteban Rives

« Je ne suis pas l’avenir de l’agriculture française.

Pour commencer, il est vrai que je n’ai pas une immense appétence pour le travail manuel, et que je n’ai jamais été passionné par le travail de mon père, installé depuis 2005, par celui de mon grand-père, installé en 1961, ou par celui de mon arrière-grand-père, installé en 1927. Vous l’aurez compris, l’agriculture coule dans mes veines, pour autant je peux vous affirmer avec certitude que je n’en ferai jamais mon métier. Pour moi, le travail de paysan est terriblement difficile et pourtant, essentiel. Mon père dit même que l’on ne peut pas parler d’un travail puisque, là où on est, il est quasiment impossible d’en vivre. Aussi terrible que cela puisse paraître, chez nous il s’agit plus souvent d’une activité presque bénévole que d’une profession réellement lucrative.

Un nom, une lignée, un héritage agricole

Je m’appelle Esteban Rives, j’ai bientôt 17 ans et je suis en Première Générale au Lycée Germaine Tillion à Castelnaudary, dans l’Aude. Je suis le fils de Félix Rives, le petit-fils de Claude Rives et l’arrière-petit-fils d’Etienne Rives. Ce nom ne vous dit sûrement rien mais il a été, parmi d’autres, un des pionniers de la solidarité agricole d’après-guerre, et un bâtisseur du mouvement Cuma.

J’habite à une vingtaine de kilomètres de mon lycée, dans un petit domaine qui s’appelle Fares. C’est une ferme d’une centaine d’hectares dans laquelle vivent aussi mes grands-parents, et trois autres familles de locataires depuis près de 50 ans pour certains. En 1927, à peine marié et de retour de son service militaire, mon arrière-grand-père, Etienne Rives, a signé un bail avec l’héritière de la famille De Saint-Exupéry pour vivre dans la grande bâtisse qui surplombait les terres qu’il allait exploiter autour de cette même ferme. Il ne le savait pas encore, mais c’est là qu’il allait, avec mon arrière-grand-mère Jeanne, fonder sa famille, élever ses enfants, et apprendre le métier d’agriculteur, qu’il héritait de son père et qu’il transmettra à ses enfants, ses petits-enfants et certains de ses arrière-petits-enfants… pas moi.

Pourquoi je suis là aujourd’hui ? ma légitimité de lycéen face au monde agricole

Quand on m’a contacté, il y a plusieurs mois, pour raconter l’histoire de cet homme, de ce lieu, et de cette famille, dont le destin est lié aux Cuma, j’étais totalement dans autre chose. J’apprenais mes textes pour l’oral blanc de français, je réfléchissais à comment m’habiller pour l’anniversaire auquel j’étais invité le week-end suivant et je me demandais comment plaire à cette fille dans ma classe. C’est dur, l’adolescence !

Je connaissais dans les grandes lignes les origines des CUMA, ce qui est plus que beaucoup de gens et le rôle qu’avait joué mon arrière-grand-père. Je connaissais les engagements patriotes, solidaires et agricoles des membres de ma famille mais je ne m’étais jamais questionné sur l’impact qu’avait ce passé sur ma vie.

C’est en préparant cet exercice devant vous que je me suis interrogé pour la première fois en quoi cette histoire familiale avait joué sur ma vision du monde et sur ce que je suis aujourd’hui. La FNCuma avait pris contact avec mon grand-père pour un entretien en vue de l’écriture d’un livre sur l’histoire des CUMA, et j’avais discuté avec une de ses représentantes par sms pour organiser la visioconférence pour lui. Le numérique, ce n’est pas son truc… raconter des histoires, si. J’ai toujours aimé l’écouter parler de son père, de la Résistance et de l’histoire de la ferme. Du haut de mes presque 17 ans, la FNCuma m’a proposé de faire ce champ libre devant vous, pour témoigner et raconter les 4 générations qui nous séparent des fondateurs du mouvement Cuma.

Je me suis longuement questionné sur ma légitimité à parler devant vous aujourd’hui. Puis, j’ai regardé le paysage médiatique en France. Les questions agricoles sont bien trop souvent présentées comme complexes et inaccessibles pour nous les jeunes. Elles nous concernent pourtant plus que tout. Il s’agit de notre avenir, de l’avenir de notre alimentation, et de l’avenir de notre planète et de sa viabilité. Après réflexion, je ne suis pas moins légitime pour parler d’agriculture paysanne que les médias, certains commentateurs ou politiques déconnectés de la réalité. A ce moment-là de ma réflexion, c’était décidé : on me demande de m’exprimer pour raconter l’impact des engagements de mes aïeuls, mon discours ne peut pas être autrement qu’engagé.

Des Cuma à la CGA : l’agriculture solidaire née de la Résistance

Après mon intervention aura lieu une table ronde avec pour thème de savoir si la solidarité agricole est un souvenir du passé ou une solution pour l’avenir. Pour moi, ça n’a jamais été une question : la solidarité est et sera toujours la solution, pas seulement pour l’agriculture. Je suis issu d’une longue lignée de paysans, d’hommes engagés. Il me semble important de rappeler l’origine des CUMA. Au-delà d’être nées d’une nécessité, et d’être issues de la gauche, elles sont surtout nées de la Résistance. A la fin de la guerre, et au-delà des clivages politiques, c’est avant tout une volonté d’anciens résistants, dont Etienne Rives, mon arrière grand-père, de défendre un nouveau modèle d’agriculture, plus solidaire. Son père, avant lui, avait lui-même fondé dans l’Aude la première caisse de mutuelle agricole dans les années 1920. La volonté des Résistants conduira à une première loi sur le fermage, initiée, entre-autre par mon arrière-grand-père et défendue et faite votée par François-Tanguy-Prigent. Cette volonté conduira également mon arrière grand père a être un artisan du Réseau Cuma, en tant que fondateur de l’Union Centrale des Coopératives Agricoles puis de l’Union Nationale des Cuma, mais aussi de la Confédération Générale Agricole, dont l’objectif était de réaliser l’unité paysanne.

Après avoir emprunté énormément d’argent au Crédit Agricole, l’Union rachète les « surplus américains » (matériels laissés en France après le débarquement) pour les distribuer et les revendre à des groupements d’agriculteurs trop pauvres pour acheter individuellement du matériel si coûteux : ce sont les premières CUMA. Parmi ces surplus, des chenillettes, des bulles, des petits tracteurs et des machines à brouillards. Prévus à l’origine pour dissimuler l’arrivée des soldats Alliés en Normandie, ces engins ont servi aux viticulteurs à protéger leurs vignobles en période de gel. De nombreuses CUMA se développent partout en France, dans le midi, l’ouest, la Normandie et le Massif Central. Elles sont à la pointe du progrès mécanique. Dans plusieurs documents de mon arrière-grand-père, retrouvés chez moi, il est possible de lire que les Cuma échangeaient énormément avec les États-Unis pour trouver des prix convenables.

Poète, agriculteur, bâtisseur : le parcours hors-norme de mon arrière-grand-père

Pour comprendre ce besoin de s’unir, il me semble nécessaire de revenir quelques années plus tôt. Fin novembre 1943, alors que la zone « libre » est devenue depuis peu la « zone occupée sud », mon arrière-grand-père apprend que leur radio émetteur, la personne chargée de communiquer avec Londres, s’est fait capturer. Le réseau est découvert, ses membres n’ont pas d’autre choix : ils doivent fuir et se cacher. Le lendemain, dès l’aube, des officiers de la gestapo toquaient aux portes de tous les membres supposés du réseau que mon arrière-grand-père avait nommé « CLAUDE », en hommage à son plus jeune enfant, à l’époque : mon grand-père. Séparé de sa famille, celui que sa fausse carte d’identité présente alors comme « Léon Ulysse Marion » est, avec facilité, engagé comme valet de ferme, au vu de ses compétences agricoles et agronome. Il était effectivement installé à son compte depuis plus de 15 ans, et ce avant de devoir se cacher dans une pièce secrète chez un oncle, derrière une armoire à double-fond. Auteur de poésie, à ses heures, séparé de sa femme et de ses enfants, il attend patiemment la fin de l’occupation, dirigeant à distance le réseau de passage et d’exfiltration des juifs par les Pyrénées ou de sabotage des voix-ferrées du midi en prévision d’un potentiel débarquement sur les côtes méditerranéennes.

L’armistice est signé, la guerre et l’occupation sont terminées, Hitler s’est suicidé dans son bunker. Tout est bien qui finit bien… sauf que non. Les chevaux réquisitionnés dès 39 pour l’effort de guerre, de la Drôle de Guerre, n’ont jamais été rendus et le travail des champs et des vignes est compliqué sans équidés pour tirer les outils. Les américains proposent alors d’offrir des mules, en remplacement mais le ratio est bas : à Fares, c’est une seule mule pour 4 chevaux perdus. Reprendre le travail et réussir à en vivre était alors impossible.

C’est dans ce contexte là que de nombreux agriculteurs, ayant participé aux sabotages et à la désobéissance civile, s’étant connus par les réseaux de résistances, décident de s’unir. Ils sont les pères de la loi sur le fermage, fermement défendue et faite votée par François-Tanguy Prigent. Etienne Rives pensera et écrira pendant les heures sombres avec Tanguy Prigent, ce qui lancera les fondations de l’agriculture en 1945, à savoir le statut du fermage et du métayage ou encore les Cuma. Il est alors ministre de l’agriculture de De Gaulle, mais je ne vous le présente pas. Des acteurs issus notamment de la Résistance, alliés du ministre Prigent, créent une Fédération Nationale des Cuma en 1945, et mon grand-père est le premier président de l’Union Nationale des Cuma qui achète du matériel aux Etats Unis pour mécaniser la France.

Mon arrière grand père écrira, à cette époque, dans le journal le Sol, qui existe encore aujourd’hui sous le nom d’Entraid “nous aurons la naïveté de croire que les Cuma peuvent transformer la vie des champs et rendre plus doux le sort des hommes qui se lèvent dans la nuit pour ouvrir leur porte et marcher dans la boue ou le gazon mouillé. Nous aurons le grain d’utopie nécessaire pour croire que la coopération peut améliorer le sort des hommes entre eux, car il n’est rien de plus enivrant que de travailler à la même œuvre faite de peine et d’espoir partagé”.

Pour moi, c’est une phrase forte qui évoque sa vision de l’agriculture, solidaire avant tout.

Quelques années plus tard, suite à des tensions internes et des clivages politiques, les fondateurs de la Confédération Générale de l’Agriculture sont marginalisés et exclus. C’est de cette fracture que sont nés plusieurs syndicats agricoles, comme la FNSEA ou le MODEF. Le projet initial et la vision de l’agriculture qu’avaient ces résistants a porté ses fruits avec des lois inédites votées, la mécanisation de l’agriculture française et une certaine vision de la solidarité agricole qui perdure encore aujourd’hui.

Mon arrière grand-père a poursuivi ses combats, en créant notamment le Centre National de la Coopération Agricole qu’il présida d’ailleurs pendant 30 ans, de 1950 à 1980.

Il refusera la Légion d’Honneur et la Croix de la Résistance… ironie de l’histoire après s’être battu pendant des années pour que tous les membres du réseau qu’il avait dirigés l’obtiennent. Selon son fils, mon grand-père, il considérait qu’on la donnait trop facilement, même à des Résistants de la dernière heure.

Il perdra sa femme, mon arrière-grand-mère Jeanne Peyronel, en 1960. Il écrira à son propos, et au sujet de la résistance 3 recueils de poèmes entre 1969 et 1990, dont un qui sera couronné par l’Académie Française en 1971. Il quittera la ferme de Fares pour rejoindre les Escoussols, un autre domaine familial et laissera l’exploitation à son fils le plus jeune : mon grand-père Claude.

Des luttes aux convictions : la ferme familiale dans le vent de l’Histoire

Il s’y installera ensuite avec ma grand-mère Alberte. Ils feront de ce lieu celui que je connais aujourd’hui. Les aléas financiers et la mécanisation, toujours plus importante, feront partir les ouvriers agricoles et ils rénoveront les corps de ferme pour en faire des maisons qu’ils loueront plus tard, et parmi elles, la maison dans laquelle je vis aujourd’hui.

Selon mes grands-parents, l’agriculture dans les années 80, c’était “des luttes permanentes”. Quand j’ai tenté de les questionner sur les revendications de ces luttes, leurs réponses étaient floues et j’ai compris qu’il s’agissait de très larges doléances. C’était un changement global de la société qu’ils réclamaient.

Elle étudiante et lui jeune agriculteur en mai 68, c’est une mouvance qui les a poursuivis toute leur vie, et j’en suis fier. Cette volonté de justice sociale, d’égalité pour tous, cette rage de dignité pour les professions agricoles les a poussés à mener de nombreux combats, jusqu’à accueillir du matériel et des étudiants des beaux arts dans le cadre du Comité d’Action Viticole, pour créer et installer des affiches dans le but de défendre une meilleure sécurité économique et des droits pour les exploitants. Mais ce n’était pas leur seule revendication. Ils défendaient également une promotion et une conservation de la culture locale (occitane, en l’occurrence) et ils défendaient les droits des travailleurs.

Ces idées ont guidé leur vie et les ont poussés à accueillir toujours plus de monde, sous leurs toits. Mon père et mes tantes me racontent même qu’enfants, il ne se passait pas un soir où il n’y ait pas d’autres personnes à table (des amis, des militants, des intellectuels, des réfugiés, des artistes, des personnes à la rue).

Fares : la ferme comme théâtre d’une histoire familiale

Comme je vous le disais plus tôt, je suis en Première Générale. Je passe le bac de français vendredi prochain. Au lycée, on nous apprend à définir les termes des sujets dès l’introduction des dissertations. Un agriculteur est une personne qui exerce une profession agricole. Le mot “paysan” appuie, selon moi, beaucoup plus sur l’idée d’appartenir à un territoire. Mon père est un paysan : il exploite les terres qu’exploitaient son père et son grand-père avant lui. Pour moi, un des gros problèmes dans l’agriculture aujourd’hui est justement la disparition de cette idée collective de paysan. Dans une polarisation toujours plus forte, une opposition constante entre l’agriculture et l’écologie, il me semble important de rappeler que derrière le paysan, il y a le lieu de vie, le collectif, le respect de la terre à laquelle il tient.

Quand la famille de Saint Exupéry, en 1981, a décidé de vendre Fares, la ferme dans laquelle je vis, c’est cet attachement qui a poussé mes grands parents à remuer ciel et terre pour monter un Groupement Foncier Agricole mutuel. Mes grands-parents s’étaient battus, syndicalement, pour combattre les GFA financiers qu’ils considéraient comme un moyen de donner la main mise aux banques et aux financiers. Dos au mur, apprenant la volonté des propriétaires de vendre, ils ont décidé, avec d’autres, de s’unir pour faire face à l’adversité. Ici encore, c’est la Solidarité qui était motrice. Ils ont fait appel à leurs amis, leurs familles, des amis de leurs amis, pour réunir assez de fonds, se regrouper et acheter l’ensemble des terres de Fares : 115 personnes que l’on nomme encore « porteurs originels ». Parmi eux, d’autres agriculteurs, des militants, des enseignants, des personnes de tous horizons et quelques pasteurs ! Pour faire face aux difficultés tout en restant fidèles à leurs convictions et à leurs combats, c’est un GFA mutuel qu’ils ont monté, avec un principe simple, et toujours inspiré de la coopération et des Cuma : une personne, une voix. Ainsi les banques avaient autant de pouvoir que n’importe quel porteur de part, dans la prise de décisions.

Solidarité en actes : le GFA, Graine de Fares et l’esprit Cuma en héritage

J’ai toujours apprécié l’Assemblée Générale du GFA, tous les ans, lors du dernier week-end de Septembre. C’était un moment agréable, plein de cousins éloignés venaient à Fares et ma grand-mère cuisinait un bon repas. Ce même esprit qu’on retrouve aussi dans les Cuma. J’y ai vu concrètement la solidarité et l’entraide. L’Assemblée Générale du GFA a toujours été suivie de l’Assemblée Générale d’une autre association : Graine de Fares. Oui, chez nous on ne fait pas les choses à moitié. A la base, certains porteurs de parts, en soutien pour le fermier, refusaient d’encaisser leurs chèques. Dans un souci de comptabilité, et puisqu’il était quand même obligé de payer d’un point de vue légal, mon grand-père a proposé aux personnes ne souhaitant pas recevoir d’argent de le reverser à cette association. La cagnotte récoltée est alors redistribuée à un exploitant pour lui permettre de s’installer ou de réaliser un projet en milieu rural.

En 2005, mon père s’installe à Fares et exploite les terres de la ferme dans laquelle il vit depuis toujours. En reprenant le fermage de son père, il a aussi repris les parts qu’il possédait dans une CUMA, fondée avec son frère de nombreuses années plus tôt. Voyant les investissements de moins en moins importants, il propose aux adhérents de se réunir et de faire rentrer du monde. L’ouverture aux autres est un principe fort, et c’est ce qui a guidé les engagements de celles et ceux qui font que je suis ici devant vous.

Agriculture et écologie : refuser les clivages, construire l’avenir

Je viens de l’Aude, le département où Sandrine Rousseau a gagné il y a un peu plus de deux mois son procès contre un viticulteur qui, en juin 2023, lui avait demandé « d’aller faire la soupe » en la traitant de « grosse salope ». Cet agriculteur, accompagné de tout un cortège protestaient contre certaines positions des écologistes qu’ils considéraient comme « criminelles ». Cet « agribashing » dont ils se sentaient victime est une preuve des difficultés que rencontre le monde agricole au changement. C’est ce genre d’image et d’actualités auxquelles ma génération est exposée quand il est question d’agriculture..

Le changement climatique n’est plus à prouver et d’ici peu de temps, si l’on ne fait rien, la production agricole en France sera impossible. Sécheresses, inondations, incendies, pollution des sols, des terres et du vivant : là aussi la Solidarité et l’Entraide sont la solution. Travaillons ensemble pour évoluer et changer vers une agriculture plus responsable et plus vivable. Permettons un changement de tous, et de toutes façons inévitables.

Refusons collectivement l’opposition systématique entre agriculture et écologie et soyons acteur d’un changement nécessaire.

Je suis issu d’une longue lignée de paysans. Mon arrière-grand père a cru en la solidarité, résistant d’abord sous l’occupation, puis et surtout la solidarité agricole. Il a initié, avec d’autres, les premières Cuma. Mon grand-père, Claude, a cru en la solidarité et en l’agriculture, en montant un Groupement Foncier Agricole mutuel pour pouvoir acheter, à plusieurs, les terres que son père exploitait avant lui. Mon père, lui, n’y croit plus. Président de Cuma, il a repris l’exploitation familiale en fermage, et les désillusions n’ont cessé de s’enchaîner depuis. Il a tenté de se diversifier, en plantant des vignes. Par soucis éthique et sanitaire, il s’est converti en bio avec ses céréales, quelques mois avant que le cours du bio ne s’effondre. Pour la solidarité, il a sûrement encore quelques espoirs. L’agriculture, par contre, je crains qu’il n’y croit plus. De nombreux paysans ne réussissent pas à se sortir chaque mois de salaires décents entre les emprunts, dettes et subventions qui n’arrivent pas, certains se suicident. C’est un drame.

Je ne suis pas l’avenir de l’agriculture… mais j’en suis la mémoire et une voix

Je ne suis pas l’avenir de l’agriculture française, mais je suis un citoyen qui connaît ce “monde”, je sais ce que sont les Cuma, et en 2 100, j’espère encore pouvoir parler d’elles car elles auront réussi à amplifier le système solidaire que Tanguy Prigent et mon arrière grand père avaient imaginé.

Souvenons-nous que le statut du fermage et du métayage, mais aussi les Cuma, sont encore aujourd’hui une garantie face à une agriculture spéculative et déshumanisée.

Ce monde ultra concurrentiel et individualiste est loin, très loin du programme agricole du Conseil National de la Résistance et de ses rédacteurs.

Je suis un simple lycéen, on me donne l’occasion et l’opportunité de faire passer un message aujourd’hui au monde agricole français, ma légitimité pour parler me vient de l’engagement de mon arrière grand-père et je vous le demande : refusons collectivement un modèle injuste à l’inverse des objectifs qui étaient ceux des résistants et des fondateurs des Cuma ! »