Marine Boyer trace la voie d’un réseau Cuma ambitieux

  • Gouvernance
  • Vie coopérative

Publié le

Élue le 3 juin 2025, Marine Boyer a prononcé son discours d’orientation en tant que présidente de la FNCuma à Beaune. Devant un auditoire ému, elle a rendu hommage à l’héritage coopératif des Cuma et présenté les quatre grands chantiers qui guideront son mandat, dans un contexte de transition agricole et de défis sociétaux majeurs

Discours Marine Boyer Présidente FNCuma

Les points clés de ce discours

1. Valorisation de l’héritage coopératif

Marine Boyer a souligné l’importance des Cuma comme « écoles de démocratie et de solidarité », rappelant les paroles du ministre Prigent sur la coopération comme vecteur d’émancipation. Elle a insisté sur la nécessité de rendre le « faire ensemble » désirable, en opposition à l’individualisme entrepreneurial.

2. Quatre chantiers prioritaires pour le mandat

Marine Boyer a rappelé que le succès des Cuma repose sur un réseau fédératif solide, permettant coordination, mutualisation et développement. Elle a salué les partenariats internationaux, notamment avec le Québec, et souligné l’importance de la concertation avec les pouvoirs publics pour soutenir des dispositifs efficaces comme le DiNA.

Retrouvez ci-dessous l’intégralité du discours

DISCOURS D’ORIENTATION – 5 JUIN 2025

Mesdames et Messieurs les responsables d’organisations agricoles et partenaires, 

Mesdames et Messieurs les représentants des pouvoirs publics, 

Chers collègues des mouvements coopératifs de France et d’ailleurs… 

Cher Réseau Cuma.

Cette année d’anniversaire pour notre statut CUMA est aussi l’Année Internationale des Coopératives. Cela mérite que nous nous replongions dans nos racines, car ces racines ont bâti notre mouvement. Elles sont aussi une boussole pour celles et ceux qui, tels des passeurs de flamme, transmettent les Cuma depuis maintenant 80 ans. 

Je reprends les termes du Ministre Prigent, toujours d’actualité, “la coopération est toute une école puisqu’elle fait participer le paysan à la gestion de ses intérêts. Elle doit le grandir et lui donner le sentiment de la solidarité humaine”.

En 80 ans, les Cuma ont su garder l’esprit originel, en étant, au-delà du partage de machines, des écoles de la démocratie, du vivre ensemble, du coup de main et de l’entraide. Elles sont un des derniers lieux de convivialité agricole. Une forme d’éducation populaire à part entière. En fondant les Cuma, le Ministre Prigent voyait un projet d’amélioration de l’Homme avec un grand H.

Elles sont toutefois comme l’ensemble des organisations coopératives et associatives : tributaire de l’engagement des personnes.  L’engagement se fait plus rare, il est vu comme une contrainte, une perte de liberté pour certains.

Et comme apprendre à coopérer ne fait pas partie du logiciel éducatif, et contrevient à l’image de l’entrepreneur qui réussit tout seul, il revient à nos organisations coopératives de rendre désirable le “faire ensemble” et de lever les freins ou les clichés pour aller vers l’autre. Car c’est ça la coopération, c’est le goût de l’autre. On est autrement plus fort en entreprenant ensemble. Cela nous offre de la liberté et nous permet de nous épanouir individuellement.

Un des fondamentaux de notre mouvement est l’émancipation. A rebours de la vision étriquée de l’engagement, notre coopération libère l’agriculteur du poids des machines. Elle le libère également d’une astreinte, d’une solitude forcée, mais aussi d’une forme d’agriculture qui échappe aux agriculteurs et dont l’objectif est toujours plus spéculatif. Nous sommes une coopération qui libère, et un mouvement coopératif indépendant tant politiquement que syndicalement.

Une de nos valeurs est la créativité. Elle a été réaffirmée dans le projet politique qui a été bâti par la précédente mandature. Avez-vous déjà entendu parler de “l’effet hangar”? Nous ne l’avons pas encore théorisé complètement, mais il s’avère que nous observons des choses formidables quand les agricultrices et les agriculteurs décident, après l’étape du partage de machines, de passer à l’étape du hangar partagé. 

Le hangar booste la création d’emploi en commun, notamment l’embauche de mécaniciens. Il permet également aux chauffeurs, salariés de Cuma, de gagner en compétences et de devenir plus polyvalents.

Le hangar booste les projets collectifs et pousse les groupes à se réinventer, jusqu’à devenir des tiers lieux où les collectivités et acteurs associatifs locaux prennent part au projet. 

La fabrique d’aliments à la ferme, ou de semences fermières, la reconstruction de micro filières, comme récemment avec l’amande, la production d’énergie avec les bois de haie, le photovoltaïque, c’est ça la créativité en action dans les Cuma. Un nouvel exemple : un atelier de découpe de sangliers qui fait le lien entre la banque alimentaire et la fédération des chasseurs. Cela permet, de manière simultanée, de lutter contre la prolifération du gibier qui détruit les cultures et le besoin en apport carnée des personnes en précarité. La preuve est sur le terrain pas dans les discours.

Enfin, une des particularités des Cuma, c’est le réseau qu’elles ont construit. Ce réseau n’a pas été bâti a posteriori de la création des Cuma pour fédérer des initiatives de terrain, mais il a été créé en même temps pour accompagner et animer le mouvement. Avec en ligne de mire le respect mutuel et le dialogue.

Comme le démontre la sociologue Véronique Lucas, sans fédération, pas de coordination, pas de mutualisation, pas de puissance politique, et pas de développement des Cuma. A l’étranger, dans les pays ayant tenté d’impulser ce type de coopératives, l’absence d’un réseau fédératif spécifique explique souvent leur faible réussite, comme en Wallonie ou en Espagne. Cette petite escapade internationale me permet de saluer nos amis Québécois qui ont fait le déplacement jusqu’à nous.

*******

Ensemble nous sommes plus forts. Ensemble nous pouvons être à la hauteur de nos ambitions.  

Quels sont les chantiers à travailler dès demain pour notre nouvelle équipe ? 

Partons de la base, les agricultrices et les agriculteurs.

A la fin de ce mandat, des centaines de milliers d’entre elles et d’entre eux auront quitté le métier. Nous arrivons à l’échéance annoncée depuis longtemps de la grande vague de départ. Ce fait nous engage sur 4 grands chantiers que notre mandature portera et qu’une petite équipe d’élus a commencé à tracer.

Premier chantier : notre propre organisation.

En effet, avec moins d’agricultrices et d’agriculteurs, et donc moins de Cuma, nous devons projeter et adapter notre outil fédératif pour qu’il serve toujours plus et mieux celles et ceux qui choisissent d’être en Cuma. Également, qu’il permette de communiquer positivement à celles et ceux qui ne connaissent pas encore notre mouvement. Cette adaptation passe par une stratégie commune à construire, voire un projet politique du réseau,  et une nouvelle étape dans les modèles économiques de nos fédérations afin de les développer. A court terme, nous devons nous positionner en projection stratégique, et repenser le réseau. 

Repenser le réseau sera l’un des premiers chantiers de notre nouvelle équipe. Il poursuivra l’adoption du socle fédératif commun adopté avant hier. Ce chantier portera sur nos modèles économiques, nos services ou encore notre animation. Il vise à s’adapter aux besoins des agricultrices et agriculteurs en Cuma. Ce chantier sur notre édifice fédératif inclura les outils que nous avons créés tous ensemble, et notamment le média Entraid, pour lequel nous ouvrirons une concertation spécifique avec le réseau fédératif et les instances du journal. En quelque sorte les Assises du média, pour retravailler notre ambition commune, politique et coopérative. 

Le deuxième chantier concerne la mécanisation de la Ferme France.

La sortie de notre plaidoyer formulant plusieurs propositions en faveur d’une mécanisation responsable, durable et vivable a mis dans le débat public un sujet souvent invisibilisé. Il y a pour nous un enjeu “machine” derrière chaque enjeu agricole que ce soit, la compétitivité, la décarbonation, la santé des sols, la qualité de vie au travail, l’installation en agriculture ou encore le changement climatique. Nous nous félicitons d’avoir été entendus dans la création d’un module comprenant la mécanisation dans le nouveau diagnostic modulaire. Alors il faut,  selon nous, aller désormais vers l’élaboration d’une nouvelle stratégie plus globale concernant la machine. C’est pourquoi nous demandons à Madame la Ministre de l’Agriculture, l’ouverture d’un Varenne de la Machine avec l’ensemble des parties prenantes pour construire un cap politique commun sur la mécanisation de la Ferme France. C’est une discussion ouverte avec ses équipes. Remettre l’agricultrice et l’agriculteur au cœur de cette politique publique est un enjeu qu’ils partagent. Un de nos sujets sera fiscal, puisqu’aujourd’hui, la fiscalité de la machine est restée celle qui accompagnait les enjeux agricoles des années 70. L’enjeu climatique est là. Loin de la grille de lecture des années Giscard, les pouvoirs publics devraient encourager les pratiques vertueuses de partage plutôt que le renouvellement accéléré des machines. Ce n’est ni bon pour le portefeuille des paysans, ni bon pour la planète. 

Le Réseau Cuma est un réseau force de propositions vis-à-vis des pouvoirs publics. Nous réaffirmons ici que nous sommes vecteurs de solutions. Rendez-vous compte que pour 1 400 euros pour une Cuma, ce que coûte à l’Etat le dispositif de conseil stratégique DiNA qui bénéficie à 600 Cuma chaque année, nous faisons changer les pratiques agroenvironnementales des groupes d’agriculteurs et nous multiplions l’emploi partagé. Depuis moins de 10 ans, plus de 700 emplois ont été créés dans les Cuma grâce à ce dispositif. Il permet, je le rappelle, aux agriculteurs et agricultrices de réfléchir leur projet stratégique et leur organisation. Plus de 30% des Cuma qui ont fait un DiNA se sont tournés vers des investissements ou des pratiques en lien avec la transition agroécologique. 10% ont fait un GIEE ou sont allées vers des groupes DEPHY ou 30 000. A travers ce dispositif, c’est plus de 73 000 agricultrices et agriculteurs impactés. Je voudrais profiter de ce discours d’orientation pour appeler le Ministère de l’Agriculture à ne pas taper sur la petite ligne budgétaire que représente le DiNA pour les Cuma. Sans reparler de l’historique de cette ligne dédiée aux Cuma, l’efficience de l’euro public est ici démontrée. En 2026 nous nous mobiliserons pour retrouver notre budget initial, et nous remercions d’ores et déjà le grand nombre de parlementaires qui nous soutiennent.

Le troisième chantier concerne les “forces vives”. 

Nous avons initié la création d’un service civique agricole, pour tisser du lien entre société et agriculture. Trois de nos fédérations ont été pilotes, et nous avons été soutenus par le Ministère et la DGER dans cette expérimentation. Je voudrais ici les remercier. Grâce à notre mobilisation collective, et au soutien de Madame la Ministre Annie Genevard, cette expérimentation s’est incarnée dans la loi d’orientation. Durant ce mandat, nous aurons à déployer le nouveau service civique agricole, qui est un acte concret, pour donner envie d’agriculture et irriguer nos organisations et l’ensemble des organisations agricoles, de nouvelles idées comme ce fut le cas dans l’expérimentation menée. Demain, ces jeunes qui auront fait un service civique agricole se sentiront un peu appartenir à ce “monde” agricole, pourront en parler en connaissance de cause, voudront peut-être y travailler voire s’installeront. La société est l’avenir de l’agriculture.

Nous souhaitons aussi faire de l’axe “travail” un axe politique central, comme nous l’avons fait avec la mécanisation ces deux dernières années. Emplois partagés, groupements d’employeurs, gain de temps de travail et meilleure vivabilité, il nous faut retravailler sur ces sujets. La montée en puissance de la délégation de travaux en agriculture doit nous amener à remodeler la lisibilité de ce que proposent les Cuma pour faciliter le travail des agriculteurs et des agricultrices. Nous avons une vraie carte à jouer. Derrière l’enjeu de la délégation de travaux, il y a aussi l’agriculture que nous voulons, et celle que nous ne voulons pas où les agriculteurs et les agricultrices ne seront plus aux manettes. La création des Cuma ou encore des coopératives va à l’encontre de cette forme d’agriculture.

Le quatrième chantier concerne la liberté d’entreprendre en Cuma.

L’entraide s’est construite et se construit souvent avant le cadre juridique. La mutualisation de matériel de transformation est la réalité aujourd’hui de plus de 600 Cuma. Ces actions sont encouragées par les pouvoirs publics jusqu’à la Cour des Comptes. Une coopération de travail entre plusieurs personnes ne peut pas être figée par le droit. C’est pourtant aujourd’hui le constat que nous faisons quand dans des territoires comme l’Occitanie, des éleveurs veulent faire ensemble un petit atelier de découpe en Cuma pour vendre des volailles sur leurs fermes. La doctrine qui les régit aujourd’hui, adoptée lors du dernier mandat en 2022 en lien avec le Haut Conseil de la Coopération Agricole, allant beaucoup plus loin que la loi, enferme les Cuma et derrière elles les agriculteurs et agricultrices qui ont des projets collectifs. Il nous faut remettre en cause la théorie face au terrain. Notre mandat fera de l’objet des Cuma un chantier politique et portera auprès de nos autorités de tutelle de nouvelles propositions pour sortir de cette impasse

La liberté d’entreprendre en Cuma passe également par des règles adaptées à leur petite taille et leur but non lucratif. C’est le cas des seuils de révision, du commissariat aux comptes, l’adaptation des formalités des entreprises et la bonne compréhension des règles coopératives par les  Greffes des tribunaux. Les Cuma ne font pas de bénéfices, et le service est à prix coûtant, donc toute nouvelle obligation vient alourdir le quotidien des paysans qui ont choisi de travailler ensemble, en Cuma. Nous ne pouvons pas avoir les mêmes contraintes que des groupes d’envergure internationale. A ce sujet, nous saluons les excellentes relations de travail que nous avons avec le Ministère chargé de l’économie sociale et solidaire, qui comprend nos enjeux et dont l’aide est précieuse face à cette complexification permanente.

******

Ces chantiers, nous aurons à les mener durant ce mandat dans un contexte particulier de restriction budgétaire des pouvoirs publics, mais aussi de préparation de la prochaine PAC, où nos instances auront à porter la voix des Cuma et à construire des alliances. Nous sommes dans un contexte agricole incertain, et la remise en cause des politiques publiques qui nous soutiennent est une réalité à prendre en compte dans l’ensemble de nos chantiers. 

Rappelons-nous cependant que nous sommes un réseau de temps longs et que si nous regardons les  80 prochaines années qui sont devant nous, celles du changement climatique, de l’intelligence artificielle, ou encore de la décarbonation, soyons confiants, comme le terrain nous l’a toujours prouvé, les Cuma prendront les nouveaux chemins qui se présentent. Elles garderont la constante qu’on leur connaît. Les Cuma iront au-delà des Cuma, comme elles le font déjà. 

Je voudrais remercier l’ensemble des élus et salariés du Réseau qui font vivre tout un mouvement. Je voudrais remercier celui qui a été notre porteur de flamme aujourd’hui, Esteban Rives, pour avoir su nous montrer le pont entre aujourd’hui et hier. Et également nos intervenants qui nous ont ouvert des perspectives sur la solidarité agricole, qui nous anime. Je remercie notre Ministre de l’Agriculture, Annie Genevard et Véronique Louwagie, Ministre chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises et de l’Économie sociale et solidaire pour l’envoi de messages à notre attention que nous allons découvrir juste après et sur lesquels je réagirais.

Je concluerais ce discours d’orientation pour vous donner rendez-vous dans 3 ans pour regarder tous ensemble les réalisations collectives du plan qui vous a été présenté aujourd’hui. 

Je vous remercie de votre attention